contrôle N°1 au niveau de tronc commun
Je suis le point de mire(1) de ce cercle et, comme chaque fois qu'on me regarde avec insistance, j'éprouve un sentiment de gêne.
Je ne sais si on se rend compte combien c'est une chose affreuse que d'être laid. De la minute où je me lève et me rase devant ma glace à la minute où je me couche et me lave les dents, je n'oublie pas une seconde que tout le bas de mon visage, à partir du nez, me donne une ressemblance fâcheuse avec un singe. Si je l'oubliais, d'ailleurs, les regards de mes contemporains se chargeraient à chaque instant de me le rappeler. Oh, ce n'est même pas la peine qu‘ils ouvrent la bouche ! Où que je sois, dès que j'entre dans une pièce, il suffit que les gens tournent les yeux vers moi : j'entends aussitôt ce qu'ils pensent.
Je voudrais arracher mon physique comme une vieille peau et le rejeter loin de moi. Il me donne un sentiment intolérable d'injustice. Tout ce que je suis, tout ce que je fais, tout ce que j'ai accompli dans le domaine du sport, de la réussite sociale et de l'étude des langues , rien de tout cela ne compte. Un seul coup d'oeil à ma bouche et à mon menton, et je suis dévalorisé. Peu importe aux gens qui me regardent si le caractère bestial de ma physionomie est démenti, en fait, par l'humanité qu'on peut lire dans mes yeux. Ils ne s'attachent qu'à la difformité du bas de mon visage et portent sur moi une condamnation sans appel.
J'entends leur pensée, je l'ai dit. Dès que je parais, je les entends s'exclamer en eux-mêmes : « Mais c'est un orang-outan !(2) » Et je me sens devenir aussitôt un objet de dérision(3).
(…) Je note pourtant que les animaux, dont je raffole, n'ont aucunement peur de moi et qu'ils s'apprivoisent très vite. De mon côté, je me sens à l'aise avec eux. Je ne lis rien d'humiliant dans leur yeux. Uniquement de l'affection-demandée, reçue, rendue. Ah, quel beau monde ce serait, et combien je m'y sentirais heureux, si les hommes pouvaient avoir le regard des chevaux !
Je fais sur moi-même un violent effort, je relève les paupières, je regarde à mon tour mes regardeurs. Aussitôt, avec cette hypocrisie des gens que vous surprenez à vous fixer, ils détournent les yeux et prennent un air indifférent et d'autant plus vite que ma hure(4) leur fait peur. Ce n'est pas que mes yeux soient féroces, bien au contraire. C'est le contexte qui les contamine et leur donne un air menaçant.
Robert MERLE Madrapour 1976
- Lexique :
- Point de mire : personne sur laquelle se posent tous les regards.
- Orang-outan : un grand singe aux poils roux.
- Dérision : moquerie, ironie.
- Hure : figure, face
- Compréhension (12pts)
- 1. Pourquoi le narrateur souffre-t-il dans ce texte ? Citez trois expressions qui témoignent de sa douleur. (2pts)
- 2. Quelle est la réaction du personnage face à son apparence ? Relevez et analysez la figure de style utilisée pour qualifier son physique. (3pts)
- 3. Que reproche-t-il aux gens qui le regardent? Expliquez la difficulté de communiquer avec eux. (3pts)
- 4. Le narrateur se sent « à l'aise » avec les chevaux. Qu'apprécie-t-il chez eux, qu'il ne retrouve pas chez les hommes. En vous basant sur la notion de partage, décrivez la relation qu'il a avec les animaux. (4pts)
- Langue (8pts)
- Vocabulaire (2pts)
- Trouvez dans le texte quatre mots utilisés pour désigner les autres. Utilisez un de ces termes dans une phrase de votre construction.
- Grammaire (6pts)
- 1. « Si je l'oubliais, d'ailleurs, les regards de mes contemporains se chargeraient à chaque instant de me le rappeler »
- a)-trouvez la subordonnée dans cette phrase et indiquez le rapport qu'elle exprime. (1pt)
- b)-Réécrivez la phrase en commençant par « Si je l'avais oublié… » et faites les modifications nécessaires. (1pt)
- 2. « Je voudrais arracher mon physique comme une vieille peau et le rejeter loin de moi. Il me donne un sentiment intolérable d'injustice. »
- -Explicitez le rapport logique reliant les deux phrases en employant le moyen qui convient. (2pts)
- 3. Transposez la phrase suivante du discours direct au discours indirect en commençant par « Les lecteurs ont remarqué… » :
« J'entends leur pensée, je l'ai dit. Dès que je parais, je les entends s'exclamer » (2pts)